Comment j’ai failli être publiée

Ce billet a été écrit sur l’un de mes anciens blogs (lequel ? Aucune idée, j’en ai eu cinq avant celui-ci, j’ai dû compter, en général, je disparais en deux ou trois ans. Cette fois, je reste, je le jure). Bref, j’ai retrouvé d’anciens billets, je vais en publier certains ici. Bonne lecture !

Tout est dans la nuance. « Failli ». L’échec, penserez-vous. Ce fut pourtant une chance pour moi. Parce que si j’avais été publiée, je n’aurais eu que des emmerdes…

Lorsque j’avais 23 ans, j’ai vécu une histoire à la fois simple et extrêmement compliquée avec un écrivain connu. Cette histoire était à l’époque « l’histoire de ma vie », tant de par sa singularité que par son intensité. Il était beaucoup plus vieux que moi, beaucoup plus cynique, virulent et résigné. A côté de lui j’avais l’air d’avoir 16 ans parce que je faisais vraiment jeune dans tous les sens du terme, physiquement d’abord mais surtout parce que j’étais ingénue et un peu rebelle. Cet écrivain, malgré tout ses défauts, est de loin la personne la plus brillante que j’aie rencontrée. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Il me fascinait parce qu’il connaissait absolument tout. Il s’intéressait à tout. Je crois qu’il ne supportait pas l’idée de ne pas être incollable sur tous les sujets. Il était jaloux de ceux qui avaient plus de connaissances que lui, de ceux qui avaient plus de succès avec les femmes, il était jaloux et ça ne me plaisait pas du tout, ce trait de caractère. Mais c’était un vrai intellectuel, un cérébral, quelqu’un qui aime réfléchir et qui sait le faire surtout. C’est avec lui que j’ai compris qu’il fallait impérativement que je puisse un jour rencontrer un homme avec qui je pourrais être physiquement sans être collés toute la journée. Nous étions parfois dans la même pièce mais chacun vaquait à ses occupations, il écrivait dans son coin pendant que moi je lisais. Être ensemble mais se foutre la paix. Le bonheur. Cette histoire s’est terminée de façon brutale, du jour au lendemain, je ne rentrerais pas dans les détails mais la fin de cette histoire correspond à la relation elle-même : absurde.

Quand j’étais avec lui, j’écrivais tout le temps sur notre relation. Pour essayer d’en garder quelque chose, pour rester ancrée dans la réalité. Il m’a fait autant de bien que de mal, à vouloir le comprendre, j’ai perdu quelques plumes. Quand ça s’est terminé j’ai relu mes notes et j’ai voulu en faire un roman que j’ai écrit en 3 mois en y passant toutes les nuits (chômage, mon amour…). Je précise que jamais je ne citais le nom de l’écrivain pour ne pas avoir d’emmerdes. Mais n’importe quel fan de l’écrivain l’aurait reconnu. Des années plus tard, j’ai envoyé ce manuscrit à six éditeurs parisiens. L’un d’entre eux m’a rappelée cinq mois plus tard alors que je n’osais plus y croire. Au téléphone, j’ai eu droit à des éloges et la sentence, implacable : le comité de lecture n’étant pas unanime, je ne serais pas publiée. Sauf si je consentais à ajouter des scènes de sexe. Dans la seule « scène de sexe » que j’avais écrite, l’écrivain s’endormait la tête entre les cuisses de l’héroïne pour y ronfler sans qu’elle n’ose bouger pour le déranger. Ce qui m’amusait c’était de tourner le sexe en dérision, de mettre l’accent sur la relation intellectuelle, les rapports de force entre les deux amants. Je ne sais pas écrire des scènes de sexe, c’est un art difficile, c’est souvent raté, ridicule et peu excitant. Je voulais rire et faire rire le lecteur, pas du tout l’exciter.

Malgré tout, celui qui m’appelait me proposait de me rencontrer à son bureau pour parler de tout ça. Arrivée là-bas, je suis vite soulagée, il est évident que ce type ne me drague pas puisqu’il est gay. Je le sens, je le sais, tout va bien, je peux faire confiance à mon radar. On s’est vus quelques fois, je lui donnais mes nouvelles à corriger, on parlait de nos vies, on s’envoyait aussi des mails, tout ça était fort sympathique et sans danger, pensais-je naïvement. Jusqu’à ce qu’il fasse des sous-entendus assez explicites. A l’époque je n’avais pas vraiment de pied-à-terre, je voguais entre chez mes parents et chez des amis. Un jour il me propose de passer le week-end chez lui je ne sais plus où très loin en banlieue, je me moque gentiment (ou pas, je ne sais plus) de sa proposition parce que je suis parisienne, je ne prends certainement pas le RER pour aller au bout du monde. Frustré de constater que sa proposition ne me fait aucun effet, il commence à m’accuser de l’avoir draguée dès le départ, ce qui est pur mensonge. J’avais été cordiale voire amicale, jamais plus. Puis, agacée par ses accusations et son manque de fair-play (il avait perdu, il ne me mettrait jamais dans son lit à Trou-du-cul-sur-Marne), je finis par lui dire clairement qu’il est gay et que c’est bien dommage qu’il ne le sache pas. Que même s’il avait été hétéro, il était à des années lumières de ce qui peut me plaire chez un homme : sa petite voix sans caractère, ses mains gigantesques, ses cheveux clairsemés, son air satisfait de sa personne, son…

Pour se venger il a cru bon me casser en me disant que telle de mes nouvelles était écrite comme dans les années 30. Probablement le plus grand compliment reçu à ce jour, j’adore les années 30. Parfois je repense à lui dont j’ai oublié le prénom et je me demande s’il a enfin fait son coming out. C’est tout le mal que je lui souhaite.

Shanny (❁´◡`❁)

@karsenty

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